Extrait de Rédemption, le dernier vampire


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Extrait 1:

« Virginie »

La peau souple…

Et cette odeur poivrée, légèrement musquée, plaisante à sentir…

D’une langue gourmande, elle caresse la surface ambrée du cou ainsi offert. Sous l’émotion, sa proie est incapable de résister, lâchant un feulement animal, prémices d’un orgasme annoncé. De sa position dominante, elle se laisse aller sur les cuisses de son amant, profitant de la moindre sensation dégagée par l’union de leur corps. Ses gestes sont lents, maîtrisés, élastiques, de quoi repousser les limites du plaisir. Elle soulève son bassin, le repose en cadence, accompagné d’un léger mouvement latéral, son partenaire en perd la tête. Pourtant, malgré l’envie grandissante, elle n’accélère en rien sa chevauchée. Ne pas gâcher l’instant, se délecter de son pouvoir sur ce mâle viril, écraser la pointe de ses seins sur son torse à la musculature saillante afin de percevoir son souffle saccadé et se relever pour s’extraire à ses baisers venimeux. Elle le domine, telle une reine… Satisfaite de son emprise, elle finit par ouvrir la bouche et plante ses crocs dans la jugulaire exposée.

La jouissance de son partenaire est immédiate, de quoi la rendre folle. Elle boit, savoure ce nectar pourpre à la teneur savoureuse. Le déclencheur pour précipiter son propre orgasme.

Soudain, elle se sent soulevée et jetée au bas de la couche comme une malpropre. La voix grave de son amant résonne dans la pièce :

— Qu’est-ce que tu fous, bordel, tu veux m’assécher ?

Les lèvres en sang, le corps encore en feu, elle rit à gorge déployée avant de s’asseoir et de dévisager cet homme pour le moins exceptionnel. Un homme… pas tout à fait, surtout quand on connaît Halle Berry, ce colosse métis devenu vampire. D’une seule main, il pourrait écraser sa partenaire sans sourciller. Tout du moins, si elle était humaine. D’un regard fauve, il gronde :

— J’en ai marre, Virginie, c’est la troisième fois que tu me fais le coup cette semaine ! Je ne suis pas une bonbonne à sang !

La jeune femme sourit, avant de venir se lover dans les bras de son amant. Un gros nounours acariâtre, parfaitement sous la coupe de cette vampire d’exception.

— Allons Poussin, je sais que tu adores ça.

— Arrête de m’appeler comme ça, grogne le vampire. Que vont penser les autres s’ils t’entendent ?

D’une main, il tâte son cou. Les blessures ont disparu, de quoi réfréner sa mauvaise humeur. D’un bras, il enlace Virginie. Sa poitrine s’efface sous le biceps de cette montagne de muscles. Elle se plaît à ressentir la force de son amant contre ses seins. La voilà traversée d’une violente envie de reprendre là où ils se sont arrêtés. Le goût du sang de son partenaire encore en bouche, elle jubile. Une force nouvelle gagne ses membres.

Une brève douleur traverse son épaule, pourtant, elle ne riposte pas. Que pourrait-elle faire, face à la vigueur de son partenaire ? Les crocs de Halle plantés dans ses chairs, elle laisse ce désir teinté de souffrance investir son corps. La succion sonore ne fait qu’accentuer cette ambiance électrique, cette envie de plonger dans ce trou noir, de tout perdre. L’apogée du plaisir… Le temps s’éternise, et soudain c’est l’explosion.

— Hé, Virginie !

Les lumières dansent, lucioles étranges sur cette mer enténébrée.

— Virginie, merde.

Douleur, lucioles, douleur, lucioles, et c’est la déchirure.

Elle se redresse, l’air hagard, la gorge en feu, avec cette sensation atroce figée au bas de sa nuque. Un coup d’œil rapide, elle constate les profondes plaies encore présentes, auréolées du sang perdu. Halle se tient devant elle, le visage blafard – chose étonnante pour ce métis – et l’air désolé.

— Je crois que j’ai un peu dépassé la dose, reconnaît-il, les lèvres vermeilles.

Ainsi maquillé, on pourrait le confondre avec un clown grimé pour l’occasion. Un grand clown, plutôt effrayant, il faut bien l’avouer. Virginie parvient à afficher un pâle sourire, tout en s’allongeant, épuisée.

— Nos petits jeux vont finir par nous tuer, Halle.

— Tu as raison. Si ça continue, il va falloir qu’on se colle des muselières pour baiser.

Virginie ne peut retenir un fou rire, bientôt rejoint par son compagnon.

— Plus sérieusement, Halle, tu m’as vidée. Je suis vannée.

— Et surtout blanche comme un linge, précise Halle, la mine inquiète.

Il se dirige d’un pas pesant vers l’entrée de son habitation – un vieux marabout reconverti en demeure de luxe pour ce mastodonte – et, tout en ouvrant le pan de toile qui barre l’entrée, ajoute :

— Attends-moi là, bébé, j’en ai pour moins d’une minute.

Virginie veut intervenir, trop tard, le vampire vient de disparaître d’une vitesse paradoxale, vu sa corpulence. Que va faire ce bougre d’idiot ? C’est la seule pensée qui traverse l’esprit de la jeune femme…

 

 

Extrait 2:

« Jean »

Le bruit de la bête m’indispose. Elle est là, à dévorer un homme à moitié mort, tel un chien affamé sur son bout d’os. Mon lointain cousin vampire ressemble à un animal enragé, il ne reste rien de l’être réfléchi qu’il fut autrefois.

Pitoyable…

Les bras de la victime bougent à chaque succion, dernier réflexe avant le trépas. Le vampire se retourne, m’observe de son faciès animal, moi qui ose le jauger d’un air hautain. Il lâche d’un ton mauvais.

— Tu veux que je te fasse ta fête ? Barre-toi et va te chercher un autre humain à vider. Ici, c’est mon coin.

Il crache plus qu’il ne parle, traversé par une sauvagerie hors- norme.

Comme pour répondre à cette invective, une jeune femme sanglote, prostrée dans un angle. Elle fixe le spectacle, terrorisée, sans risquer le moindre geste. Elle pourrait fuir la fin annoncée… Non, en fait, elle n’a aucune chance. Je dévisage cette petite poupée accablée de peur, si belle dans sa blondeur, les cheveux longs collés par les larmes à son visage blafard. Un appel au meurtre pour tout vampire qui se respecte, ce que ne manque pas de remarquer mon acolyte. Puis-je nommer ainsi cette bête primaire ? Nous n’avons rien de commun, sinon deux canines surdimensionnées. Bon, c’est un peu vite oublier mon passif et ces dizaines de prétendantes dont je me suis abreuvé. Mon comparse vampire se redresse et aboie :

— Propriété privée ! Elle est à moi !

Les yeux fous, il renifle mon odeur, sans tenter de m’agresser. D’un claquement de langue, il s’énerve tout seul :

— Tu ne sens même pas le sang. Tu es tout propre sur toi. Tu es certain d’être un vampire ?

Bien entendu, ce dégénéré connaît déjà la réponse. Mon aura doit l’éclabousser à tel point qu’il se sent menacé. Pourtant, la sagesse n’existe plus chez lui. Comme pour mieux me défier, il s’approche de la beauté fragile, m’observe, avant d’ouvrir une bouche béante et de plonger sur ce cou gracile tendrement offert.

Un geste stoppé sur-le-champ.

En moins d’une seconde, j’ai franchi les cinq mètres qui nous séparaient, de quoi me rendre perplexe. Depuis mon réveil dans ce cimetière cryogénique, ma force ne fait que s’accentuer. Je ne ressens ni la soif, ni la faiblesse, uniquement cette impression d’une puissance accrue. Mes confrères, ressuscités de la même manière, ne semblent pas disposer d’aptitudes comparables. Pour preuve, ce crétin que j’immobilise d’une main sur sa nuque. Il jette un regard de travers sur moi, sentant l’emprise du maître sur l’esclave. Pourvu d’un regain de courage, il essaye de frapper au petit bonheur la chance. Son hurlement ponctue son heure de gloire, ma main libre ayant bloqué son attaque. D’une pression féroce, je broie cet audacieux poignet :

— Lâche-moi, espèce de…

Ce seront les dernières paroles de ce sous-vampire. Un craquement osseux s’en suit, de quoi m’arracher un sourire mauvais. D’une réplique vive, j’ai saisi son crâne pour lui faire un demi-tour improbable, brisant net sa colonne vertébrale. À voir les yeux ouverts et la bouche bée de la blonde, nul doute que l’image doit l’écœurer. Ce n’est qu’une question d’habitude, ma belle…

Qu’est-ce que je disais ? Elle vient de vomir allégrement, m’obligeant à sautiller pour éviter le raz-de-marée. Je relâche le vampire. Son corps tombe, sa tête adoptant une posture inversée surréaliste.

Durant mes six siècles d’existence, j’ai toujours détesté les êtres faibles, les hommes comme les vampires. Si pour les premiers, cela ne porte pas à conséquence – ceux-ci conservent rarement le pouvoir – pour les seconds, c’est plus complexe. Donner une once d’autorité à des humains par une mutation inappropriée, les voilà changés en animaux sauvages. C’est ce que mon maître avait compris, ce vampire qui durant l’année 1517 me fit don d’immortalité, dans une Rome ravagée par la peste. Comme tout vampire d’un certain rang, il aimait s’entourer d’une caste. Des serviteurs dévoués, mais intelligents et surtout, capables de maîtrise face à l’appel du sang. Notre pouvoir a une fâcheuse tendance à transformer les faibles en bêtes revanchardes.

Enfin, cela n’a plus d’importance…

Je me penche, caresse la joue de cette jeune beauté. Si le besoin de m’abreuver ne coule plus dans mes veines, le désir est loin d’être tari. Elle me rappelle les nymphes que j’ai côtoyées. Quelques-unes, pour être honnête, beaucoup ayant peuplé le songe d’une nuit, avant de disparaître à l’aube sous mes crocs. Mais une élite n’a pas connu ce triste sort. Laurence, belle rouquine, tuée par le bioplasma tout prêt de Grenoble, Solange, la créatrice de ce maudit produit et pour finir, sa fille, Virginie, une vampire aux aspirations meurtrières. Finalement, les femmes m’ont causé pas mal d’ennuis.

— Allons, ça va mieux. Vous n’avez plus à vous inquiéter.

Elle s’essuie la bouche pour ôter les derniers relents de son repas – vision tout de suite moins érotique – avant de m’offrir un timide sourire.

— Je… merci. Il… il a tué mon mari.

Elle voudrait pleurer, elle n’en a plus la force. Trop de larmes versées. Elle reprend, la gorge nouée.

— Comment vous appelez-vous ?

— Jean… Jean Verger.

Merde, j’ai parlé trop vite. C’est sorti tout seul, une vraie poule dans sa basse-cour. J’ai oublié qu’ici, je suis persona non grata. Pas d’inquiétude, qui pourrait se souvenir de moi ? Un coup d’œil sur la cité à feu et à sang me conforte dans cette idée.

— Vous… vous êtes le vampire des Alpes ?

Quelle conne ! Et merde… Ses yeux forment deux soucoupes explicites. Je peux y lire la peur et sa cohorte de synonymes. Me voilà rangé dans le même tiroir que mon triste confrère, le vampire au cou en équerre. Fini l’option gentil sauveur, passage direct par la case méchant tueur sanguinaire. Pourquoi diable n’ai-je pas menti ? Une petite affabulation, bordel, tout aurait été plus simple.

Soudain, mon aura me titille… une sale onde électrique à l’origine évidente. La jolie blonde veut s’échapper, prise d’un légitime réflexe de survie. Un peu tard, ma grande, fallait pas causer si vite. Je bloque son élan d’une poigne ferme sur sa chevelure, mon attention captivée par l’effluve d’énergie qui ne cesse de gagner du terrain.

— Je vous en prie.

— Chut…

Une frappe sèche de mes ongles, son cou s’ouvre tel un moelleux d’où s’échapperait le chocolat fondu… un chocolat vert dont je n’ai nulle envie de me délecter. Ma main encore couverte de bioplasma, je l’observe hoqueter de surprise, de souffrance sans doute, d’effroi surtout. Je peux lire toute l’horreur dans ses pupilles ouvertes, dernière étincelle d’une vie qui s’écoule hors d’elle. Dommage, elle était à croquer la blondinette.

 

Extrait 3

« Aurore »

Océane, de sa petite taille, se baisse à peine pour éviter le contrefort rocheux. Moi, plus distraite, frappe mon front dans la pierre trop dure, provoquant une réaction immédiate, cri perçant de douleur, suivi de mon traditionnel grognement animal.

— Faites attention, le plafond est bas, prévient – un peu tard – Lady Silver.

Il est étonnant de constater qu’ici comme ailleurs, la cité est truffée de boyaux souterrains, de tunnels cachés, de fosses oubliées, catacombes parfaites pour tout vampire digne de ce nom. Du moins, dans les bonnes vieilles légendes, car je peux en témoigner, l’odeur putride des lieux n’est agréable que pour les rats. Qui peut croire qu’un vampire aimerait folâtrer dans ces eaux croupies ? Heureusement, notre calvaire prend fin par l’éclairage d’une ouverture à mi-hauteur du conduit. Lady Silver pointe son bâton électroluminescent dans la cavité, obstruée par un mur de briques. D’un doigt rapide, elle pianote sur un clavier camouflé dans un renfoncement et pose son pouce sur un digitaliseur à empreinte. Un lent ronronnement envahit le tunnel, l’annonce du mur opposé qui se dérobe.

— Suivez-moi ! commande Lady Silver.

Nous voilà dans une antichambre spacieuse éclairée d’une lueur bleutée où un parfum de lilas – de synthèse – vient contrebalancer les senteurs putrides du précédent tunnel.

— Nous sommes obligées d’user d’un peu de prudence, commente la vampire d’un sourire en coin.

Son sourire tombe lorsqu’elle ordonne :

— Veuillez-vous essuyer les pieds sur le tapis, puis vous quitterez vos chaussures à l’entrée pour enfiler des chaussons. Vous y trouverez forcément votre taille.

Océane s’approche de moi et me souffle au creux de l’oreille, les yeux démesurément ouverts :

— Je rêve ou j’ai bien entendu ?

Je rétorque, amusée :

— Miss ménage.

Les autres vampires s’exécutent sans même sourciller.

— En tout cas, ça convient parfaitement à mère courage, s’agace Océane.

Bientôt, notre petite troupe reprend sa route – en chaussons molletonnés, d’une exquise couleur fuchsia – pour gagner le cœur du complexe : une vaste salle circulaire, probablement un ancien bassin de décantation récuré et réaménagé pour l’occasion en une pièce à vivre conviviale où les canapés soyeux côtoient des tapis en laine épaisse. Un bar massif surplombé d’étagères bien pourvues en bouteilles offre une touche « brasserie » à l’ensemble, complété par des tabourets, un vieux juke-box, une bibliothèque garnie et des éclairages indirects aux tons orangés. Une vingtaine de femmes – vampires, il va sans dire – observent les nouvelles venues, c’est-à-dire nous, d’un regard trouble. Leurs pupilles percent la pénombre, yeux de louves prêtent à se nourrir. Envie, suspicion, agacement, étonnement, jalousie… un flot de sentiments contradictoire traverse cette assemblée de prédatrices.

— Suivez-moi, commande Lady Silver. Maeva, apporte-nous trois whisky, s’il te plaît, dans mon bureau. Tu sais lequel.

La jeune blondinette s’exécute sur-le-champ sans l’once d’une protestation. Lady Silver paraît mener sa barque d’une poigne de fer. Son emprise naturelle suffit à me convaincre de sa légitimité sur le groupe. Nous découvrons un bureau où chaque mur est masqué d’une bibliothèque garnie de vieux livres, des pièces uniques. Des œuvres issues d’un lointain passé et dont j’apprécierais modérément le contact, étant plus accro aux tablettes numériques. Un bureau massif, mélange de métal laqué noir et argent, trône au centre. Quatre fauteuils en cuir sombre attendent sagement la venue d’éventuelles convives – uniquement des femmes, cela va sans dire. Quant à Lady Silver, elle prend place dans son assise, plus grande, et surtout blanc crème, un contraste qui lui permet d’asseoir son autorité – dans tous les sens du terme.

— Bien. Pour commencer, j’aimerais en savoir un peu plus sur vous, mesdames, entame la reine des lieux.

Son regard perçant fait frémir Océane. Moins émotive, je prends la parole pour expliquer dans le moindre détail toute notre aventure. À quoi bon mentir ? Lady Silver écoute l’histoire avec un certain stoïcisme. Seuls de rares battements de paupières trahissent son agacement lors de la prise de pouvoir d’Étienne sur le biodôme parisien – un homme, vampire, et de surcroît mégalomane, rien ne peut-être pire pour cette femme. La suite de mon récit ne lui sied guère plus. Le vampire est remplacé par un autre, tout aussi imbu de sa personne : Halle Barry. De quoi conforter l’opinion de Lady Silver concernant la gent masculine.

— Et donc, si je vous suis bien, vous êtes venues ici, toutes les deux, afin de vous réfugier et d’attendre l’arrivée de, comment s’appelle-t-elle, déjà ?

— Virginie.

— De cette Virginie, votre mère.

— C’est ça.

Le silence s’installe, bientôt brisé par un timide bruit contre la porte.

— Entre Maeve.

La jeune vampire s’exécute, chargée d’un plateau où trois verres remplis d’un liquide ambré sont posés.

— Maeve était d’une incorrection totale à son arrivée ici. Pas une phrase sans lâcher deux ou trois injures, mais j’ai rapidement remédié à la situation, n’est-ce pas, Maeve ?

— Oui maîtresse, répond la jeune vampire, yeux baissés en guise de soumission.

— Le fouet, rien de tel pour remettre sur le droit chemin les brebis égarées. Sa marque sur la peau est à même de briser les esprits, aussi retors soit-il.

Océane observe le manège d’un air intrigué avant de croiser mon regard. Aucun mot ne sort de sa bouche, c’est inutile. Toutes les deux, nous partageons une sensation identique devant cette phrase désuète, digne citation d’un vieux roman sur l’esclavage sexuel découvert au muséum HPA1 du biodôme parisien : 50 nuances de fouet ou quelque chose comme ça. Bref, une stupidité dont j’oublie l’existence pour me concentrer sur l’instant présent. Aussitôt les verres posés, Lady Silver commande :

— Allez, disparais !

La vampire recule, avant de s’effacer d’une démarche rapide. La reine de cette ruche attrape un verre et, d’un geste, nous invite à l’imiter.

— Et surtout, ne tachez pas mes fauteuils, je vous prie. Allez, santé !

D’un coup et d’un seul, elle avale la mixture sous nos regards circonspects.

En digne chef de file, je prends le premier verre à ma disposition, suivie de peu par Océane, et le porte à mes lèvres.

— Et de un, de deux, de trois…

Et voilà le Whisky avalé.

Et voilà la brûlure intense qui descend.

Les flammes qui remontent.

Les boyaux tressés comme de la corde à nouer.

Et pour finir, nos cris communs, concerto de larmes et de grimaces sous l’œil amusé de Lady Silver.

Le temps passe, notre pouvoir de guérison œuvre pour faire disparaître les derniers vestiges de l’infamie.

— C’était quoi cette merde ? lâche Océane à bout de souffle.

La voix de la maîtresse de maison claque :

— Pas d’injure ici, sinon…

Un coup d’œil au fouet accroché au mur, et Océane saisit le message. Pas commode la proprio. Lady Silver reprend d’un ton serein.

— Il s’agit d’un bon vieux Whisky à 92°. Un petit plaisir à l’état brut.

— Un plaisir à l’état brut ? s’insurge Océane. Une véritable m…

Ma main sur sa bouche empêche la suite de sortir. Magnanime, je viens de sauver ma consœur d’une correction cuisante. Lady Silver fronce les sourcils, mais ne dit rien. D’autres sujets lui semblent plus urgents.

— Vous deux, vous n’êtes pas de sang pur.

— De sang pur ? s’étonne Océane.

Je précise à l’attention de ma partenaire :

— Des vampires de naissance. Pourquoi cette question ? Est-ce une tare pour vous ?

Un éclair lumineux passe dans le regard de Lady Silver, je pourrais jurer avoir touché un point sensible.

— Non, cela va de soi !

Lady Silver tire sur le col de son sweat seyant et nous offre la vue de deux marques symétriques. Elle se lève, s’approche d’une des bibliothèques, ôte un livre et, d’un geste précis, appuie sur un bouton camouflé tout en pivotant un autre roman. Un grincement ponctue l’étrange cérémonial, suivi de la dérobade d’une partie du mobilier. À la place, un escalier étroit et obscur s’enfonce dans les entrailles du complexe souterrain. Une torche est disposée sur un support mural. Aussitôt, Lady Silver s’en saisit et l’allume à l’aide d’un briquet électrique présent sur son bureau. Les flammes dansent dans ses prunelles argentées, l’impression pour moi d’une remonté dans le temps.

— Suivez-moi, vous allez comprendre.

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